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L'amour impossible

August 15, 2023

L'impossible

Dans La maladie de la mort, court roman de Duras, il est question de l’amour, ou de l’impossibilité d’aimer.

L’homme l’aurait payée pour essayer, pour tenter la chose.

Elle demande : Essayer quoi ? Vous dites : D’aimer.

Mais elle annonce la mort avant que la question de l’amour surgisse. Il est atteint d’une maladie, la maladie de la mort.

Vous lui demandez : En quoi la maladie de la mort est-elle mortelle ? Elle répond : En ceci que celui qui en est atteint ne sait pas qu’il est porteur d’elle, de la mort. Et en ceci aussi qu’il serait mort sans vie au préalable à laquelle mourir, sans connaissance aucune de mourir à aucune vie.

Le titre du livre fait référence à La maladie à la mort de Kierkegaard. Dans la formulation de Kierkegaard, la maladie est comme celle qui conduit à la mort, dans un mouvement, à venir. Chez Duras, la mort est déjà la, dans la maladie même, le malade est déjà mort, il n’a pas de vie au préalable à laquelle mourir.

Chez Kierkegaard, la maladie à la mort est désespoir. On désespère, consciemment ou non. Chez Duras, celui qui désespère ne sait pas qu’il est en désespoir.

Et le désespoir, ou la maladie de la mort, semble abolir tout lien entre l’un et l’autre, même le lien de soi à soi-même.

Il y a en vous des sanglots dont vous ne savez pas le pourquoi. Ils sont retenus au bord de vous comme extérieurs à vous, ils ne peuvent pas vous rejoindre afin d’être pleurés par vous. Face à la mer noire, contre le mur de la chambre où elle dort, vous pleurez sur vous-même comme un inconnu le ferait.

La maladie de la mort, en ce sens, est justement l’impossibilité d'aimer.

Elle demande : Vous n’avez jamais aimé une femme ? Vous dites que non, jamais.
...
Elle dit : Jamais ? Jamais ? Vous répétez : Jamais.
Elle sourit, elle dit : C’est curieux un mort.

Et il a fallu qu’elle prononce d’abord son incapacité d’aimer.

Elle caresse votre main. Elle demande : Vous pleurez pourquoi ? Vous dites que c’est à elle de dire pourquoi vous pleurez, que c’est elle qui devrait savoir.
Elle répond tout bas, dans la douceur : Parce que vous n’aimez pas. Vous répondez que c’est ça.

Il n’est non plus possible que l’on puisse l’aimer.

Vous lui demandez si elle croit que l’on peut vous aimer.
Elle dit qu’en aucun cas on ne le peut.

De nouveau vous lui demandez si l’on peut vous aimer. Elle dit encore : Non.

Amour

Mais, hors de cette certitude, hors de l’impossibilité d’aimer, surgit l’amour.

Montaigne : L’impression de la certitude est un certain témoignage de folie et d’incertitude extrême.

Si, à chaque fois l’homme demande si l’on peut l’aimer, ce qu’il attend n’est pas la réponse qu’il a déjà, « non, en aucun cas on ne le peut », mais une autre réponse inattendue, inespérée, qui survenir « d’une faille soudaine dans la logique de l’univers ». Si, à chaque fois elle demande si l’homme a jamais aimé une femme, ce qui se répète n’est pas une question, mais un appel, une invitation même : aime-moi, aime-moi même si vous en êtes incapable… Parce que finalement, le sentiment d’aimer ne survient « jamais d’un vouloir ».

L’impossible est le lieu même du désir, et l’amour le lien d’une communauté impossible.

Ainsi cependant vous avez pu vivre cet amour de la seule façon qui puisse se faire pour vous, en le perdant avant qu’il soit advenu.

Duras : Quand j’écris, je ne meurs pas. L’écriture est cette approche à la mort, aux souvenirs, à un deuil.

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